lundi 2 février 2009

Réaction article France-Antilles suite au reportage "les derniers maîtres de la Martinique"

Moi qui suis devenue avec la grève comme tous mes compatriotes, une pasionaria de l’information suspendue aux lèvres des médias locaux, j’ouvre fébrilement le France Antilles Guadeloupe ce matin du 2 février 2009.Même si la une aguicheuse « Jego s’installe en Guadeloupe » aurait pu me rassasier, élève appliquée, je ne m’en tiens pas là et poursuis ma lecture.

Nous ne sommes pas à l’abri d’une information cruciale coincée entre deux « kamo » insipides...

Page 5, la bombe explose :

« Dans les familles métissées, les enfants sont de couleurs différentes, il n’y a pas d’harmonie. Moi je ne trouve pas çà bien. Nous, on a voulu préserver la race…Les historiens ne parlent que des aspects négatifs de l’esclavage et c’est regrettable ».

Cette déclaration de Monsieur Alain Huygues-Despointes est un extrait choisi du reportage diffusé le 30 janvier 2009 dans le magazine Spécial Investigation sur Canal+ intitulé « Les derniers maîtres de la Martinique » et enquêtant sur le milieu des békés de la Martinique.

M. Patrick Karam, délégué interministériel pour l’Egalité des chances des Français d’outre mer s’insurge en page 5 du quotidien et déclare : «On ne peut accepter que quiconque puisse penser et encore moins tenir de tels propos […] La seule idée de préservation de « la race » nous ramène aux heures les plus sombres de l’histoire de l’humanité ».

Il demande à l’auteur de l’infâme citation de « s’excuser publiquement dans les plus brefs délais ».

Ce reportage n’a pas été diffusé en Guadeloupe le vendredi 30 janvier 2009 et mais le sera le 6 février 2009. Peut être ces messieurs de la programmation ont il estimé que dans un climat de tension en Guadeloupe, de tels propos aurait été –à raison- l’étincelle au baril de poudre.

A la lecture de cet article, chacun des mots de la déclaration de Monsieur Huygues -Despointes est tombée comme un couperet finissant de décapiter le moindre espoir qui survivait en moi de voir un jour respecter les antillais Noirs.

On peut lire à travers sa déclaration que le métissage serait contre nature. Ainsi, les unions « métissées »nouées dans les îles auraient elles du s’en tenir à celles imposées par certains maîtres aux esclaves ?

Allons plus loin dans l’absurde, le peuple antillais, grande famille métissée, n’est donc pas « harmonieux » ?

Et il faut croire qu’il existerait une race béké ! N’ayant pas l’érudition et les connaissances en génétique de Monsieur Alain Huygues-Despointes, je lui laisserais le soin de nous faire une démonstration sur les caractéristiques communes héréditaires des békés qui font de ce groupe social une race.
Race qu’il faudrait préserver à tout prix du risque de contamination mélanique que constituerait l’alliance d’un/ une béké avec un /une Noir (e).
Quant au rôle positif de l’esclavage, je rappelle à ce négateur de l’histoire que l’ article 1 er de la loi n°2001-434 du 21 mai 2001 dispose « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité ».
Je me refuse à croire que les propos tenus par cet individu sont un acte d’inconscience isolée commis par un homme ayant décidé de jouer la carte de la provocation aveugle.
Arrêtons la langue de bois, il a dit tout haut ce que beaucoup pensent aux fond d’eux-mêmes.

Ma volonté d’écrire cet article n’est pas née d’un antagonisme primaire Noirs contre Blancs et n’est pas non plus une stigmatisation de tous les porteurs de noms de famille dits « békés » en Guadeloupe et Martinique.

Non, cette volonté est le fruit d’une saine révolte du constat que se joue sur nos îles une mascarade de liberté où tous les jours les bourreaux côtoient les victimes. Et l’ironie du sort fait que ceux là même dont la fortune a été bâtie dans la glaise pétrie du sang de nos ancêtres esclaves, continuent aujourd’hui leur grand banquet, festoyant sur nos dos qui leur servent de tables.

Nos bouches ? Trop carnassières et occupées à dévorer la chair des quelques os que l’on nous jette ; pour parler.

Nos yeux ? Trop aveuglés par les puissants néons des grandes enseignes lumineuses pour voir.

A la lecture de cet article de France Antilles, qui osera encore me dire qu’en 2009 l’esclavage est derrière nous, qu’il faut tourner la page et avancer ?

Qui osera me dire que le racisme virulent existant contre les Noirs aux Antilles n’est que le fruit de la paranoïa collective de quelques illuminés afro centristes ?

Dans un contexte où un vent soufré de révolte se lève, ces déclarations tombent à point nommé ...

Car voici les germes du mal dont souffre la société antillaise, composée d’hommes aux espoirs moribonds et à l’identité exsangue.

Hommes vivants sur des îles où le racisme est ancré, un racisme gras et bien portant, créé de toutes pièces par les colons mais nourri au sein lourd de notre propre inconscience.

Arrêtons les calamiteux « peau chapé », « beau cheveu », « bien sorti », « mulâtre » qui sont des expressions inventées de toutes pièces par les anciens maîtres pour nous différencier comme des animaux dont la valeur du pedigree se mesurerait à la pigmentation de la peau ou à la raideur du cheveu.
Avec comme postulat simpliste et bien symptomatique du niveau d’intelligence des maîtres d’antan, que plus nous sommes proches du blanc plus nous sommes beaux, plus nous sommes proches du noir, plus nous sommes laids.

Arrêtons la langue de bois, nous vivons dans un système de caste bien organisé, une mécanique bien huilée qui, pas folle, laisse quelques miettes à une poignée de Noirs triés sur le volet pour nous donner un semblant d’égalité.

A quoi servent donc toutes ces Guadeloupe, toutes ces Martinique portées en pendentifs, en tatouage, en bannière si vous laissez piétiner votre propre peuple !

Il m’a été impossible de me procurer l’enregistrement du reportage en question déjà diffusé en France hexagonale.

Je soutiens donc le combat de Monsieur Karam pour que nous soient présentées des excuses publiques.

Je me réserve d’ores et déjà un droit de parole après sa diffusion et vous demande à tous de regarder le 6 février 2009 le reportage qui doit être diffusé sur Canal Antilles et vous rappelle que si nous restions les bras croisés sans rien dire, nous serions plus coupables que celui qui a tenu ces propos criminels.

N.Schuster
(gepmason@hotmail.fr)


Gèp Mason


« Qu’est-ce donc que vous espériez, quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires ? Qu’elles allaient entonner vos louanges ? »

Aimé Césaire